Entretien avec Maître KOULMANN, avocate au barreau de Nice, au sujet de la législation des travailleurs isolés.
DOOMAP : Maître, commençons par l’essentiel, qu’est-ce qu’un travailleur isolé aux yeux de la loi ?
Maître KOULMANN : Il n’y a pas de définition légale du travailleur isolé.
En pratique, un travailleur est considéré comme isolé :
– Lorsqu’il est hors de vue ou de portée de voix des autres collègues de travail.
– Lorsqu’il effectue son service à un moment où les activités de l’entreprise sont interrompues (horaires décalés, astreinte, travail de nuit, etc.).
– Ou enfin, lorsque la probabilité d’un passage, d’une rencontre avec un tiers est très faible.
DOOMAP : un salarié peut-il avoir un travail isolé ou travailler seul dans l’entreprise ?
Maître KOULMANN : Aucun texte légal n’interdit le travail isolé du travailleur, mais en revanche il pèse une obligation de sécurité et de protection sur l’employeur.
DOOMAP : quelles obligations ont les sociétés au regard de leurs salariés ou collaborateurs isolés ?
Maître KOULMANN : En application des dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, et ce notamment par la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. Cela vaut donc pour le travailleur isolé qui est un travailleur à risques (risques physiques liés à la sécurité interne ou externe, psychologiques….).
Cette obligation générale, suppose, comme le souligne l’INRS, la mise en place de moyen de prévention pour éviter ces risques et la faute inexcusable de l’employeur. La protection de travail isolé intègre notamment la mise en place de dispositifs d’alarme pour travailleurs isolés (téléphone PTI, GSM DATI).
Par ailleurs, un certain nombre de travaux dangereux sont interdits aux travailleurs isolés : port manuel de charges de plus de 30 kg, port d’un équipement de protection individuelle respiratoire isolant ou filtrant à ventilation assistée (Article R4543-20 du code du travail), travail en hauteur (Code du Travail, article R4323-61) etc.
DOOMAP : quelles sont les sanctions encourues en cas d’accident d’un travailleur isolé non équipé d’un dispositif d’alarme ? Connaît-on des cas de jurisprudence ?
Maître KOULMANN : La responsabilité civile de l’employeur pourra être mise en cause pour non-respect des obligations de sécurité. Ainsi, le salarié pourra demander des dommages et intérêts pour les conséquences liées à sa perte d’emploi pour inaptitude, suite à un accident du travail. Il pourra aussi réclamer la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur avec des conséquences indemnitaires fortes selon l’état de santé du salarié.
Au-delà du risque indemnitaire sur le plan civil, il faut retenir que la problématique du travailleur isolé peut entraîner des conséquences pénales importantes pour l’employeur.
La jurisprudence a eu l’occasion de se prononcer sur cette question :
-cass. crim. 5 décembre 2000 (Pourvoi n°00-82-108) : l’employeur est condamné pour homicide involontaire suite à l’accident mortel de l’un de ses employés considéré comme « isolé »,
-cass.crim. 25 novembre 2008 (Pourvoi n°08-81995) : l’employeur est condamné pour homicide involontaire à trois mois d’emprisonnement avec sursis et 3750 euros d’amende.
DOOMAP : dans le cas où le travailleur isolé a bien à sa disposition, un dispositif PTI, mais ne l’utilise pas, quelle serait la responsabilité de chacun en cas d’accident ?
Maître KOULMANN : Si l’employeur a bien mis à la disposition du travailleur isolé un dispositif PTI et a donné consigne à tous de le porter et de l’utiliser, le travailleur ne respectant pas l’usage du système de protection de travail, pourra faire l’objet d’une sanction disciplinaire, pouvant aller jusqu’au licenciement. Le règlement intérieur de la société et le contrat de travail du salarié devront rappeler l’obligation de porter ce dispositif de prévention des risques.
DOOMAP : un salarié ou un collaborateur peut-il obliger sa hiérarchie et son employeur à être équipé d’un PTI ?
Maître KOULMANN : un salarié ne peut pas directement obliger son employeur à l’équiper d’un PTI. Bien évidemment, il peut en faire la demande en exposant ses raisons (risque encouru). Au besoin, le salarié pourra exposer ses conditions de travail et notamment sa situation de travailleur isolé, au médecin du travail ou à l’inspecteur du travail qui, le cas échéant, pourront exiger la mise en place d’un dispositif PTI pour la sécurité du salarié.
DOOMAP : enfin, que dit la loi en termes de capacité d’alerte du dispositif PTI ? Doit-il permettre de détecter une chute, une immobilité ? Un téléphone sans application PTI peut-il être considéré comme un moyen d’alerte aux yeux de la loi ?
Maître KOULMANN : En application des dispositions de l’article R. 4543-19 du code du travail, un travailleur isolé doit pouvoir signaler toute situation de détresse et être secouru dans les meilleurs délais.
C’est au regard de ces dispositions légales, qu’il appartient à l’employeur d’appréhender le dispositif le plus adéquat, eu égard aux situations dans lesquelles se trouve le travailleur isolé dans son entreprise. À ce titre, il faut tenir compte du fait que le dispositif doit permettre au travailleur isolé de donner lui-même l’alerte en cas de problème, mais également de transmettre la localisation de celui-ci. Une alerte doit donc être émise si la personne est inconsciente. Cette seconde hypothèse n’est pas possible avec un simple téléphone dépourvu d’application PTI.